Au sud de Budapest, d’autres villes de l’ancien empire austro-hongrois se sont aussi laissées séduire par l’Art nouveau. Szeged, en Hongrie, Palic et Subotica, en Serbie, peuvent se targuer d’être représentatives de ce mouvement appelé aussi Sécession dans cette partie de l’Europe. J’avais très envie d’y faire un saut et de voir en même temps à quoi ressemblait la Grande Plaine qu’on traverse pour atteindre ces villes.
Célèbre pour son agriculture, la Grande Plaine n’est pas seulement riche de ses cultures de céréales, de paprika, de ses vignobles ou de ses vergers. Certaines villes profitant de ses conditions favorables ont prospéré et, au tournant du XX ème siècle, quelques-uns de leurs citoyens fortunés ont fait construire de belles demeures et pour certains de véritables palais.
Très souvent, ces constructions de la Sécession sont décorés de motifs en relief, rehaussés de cabochons, soulignés de rebords en forme de vague, le tout en céramique venant pour la plupart du temps de la manufacture hongroise Zsolnay implantée à Pecs.
Szeged au bord de la Tisza en Hongrie
Si je n’ai pu m’arrêter à Kecskemet que je me réserve pour un autre voyage, j’ai commencé ce circuit Art nouveau dans la Grande Plaine par Szeged. Cette ville proche de la Tisza en a souvent subi les caprices et la grande crue de 1879 a ravagé Szeged. Seulement 10% de ses bâtiments étaient restés en place.
La mairie néo-baroque, dont c’est la troisième version au même endroit, a d’ailleurs été reconstruite à cette occasion par Odon Lechner et Gyula Partos et inaugurée par l’Empereur François-Joseph en 1883.

Le Pont de soupirs. C’est vraiment le nom de ce passage qui relie la mairie au bâtiment d’à côté.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Elle donne sur une grande place arborée entourée de beaux immeubles. Je n’ai pu voir l’intérieur, paraît-il très riche, de la nouvelle Synagogue de style éclectique qui accueille des concerts en raison de son excellente acoustique.
C’est le Palais Reok qui est sans doute le bâtiment le plus emblématique de Szeged. On le doit à Ede Magyar qui l’a réalisé en 1903 à la demande d’Ivan Reok, ingénieur hydraulique.
L’idée était d’évoquer l’univers aquatique avec des mouvements de vaguelettes mais aussi des nénuphars et des iris.

Les piliers du Palais Reok sont couronnés par des iris et des pensées.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Ces fleurs dans des tons de bleu mauve sont abondamment utilisées et se détachent sur la façade blanche. Le spectacle est magique. Depuis 2007, le Palais Reok est devenu le Centre régional des arts.

Les fleurs, thème dominant du Palais Reok jusqu’à la plaque d’égout sur son parvis.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le Palais Grof ne manque pas non plus d’allure. Donnant sur trois rues, il se caractérise par ses balcons, ses niches et ses tourelles qui donnent beaucoup de relief à sa façade dont le fronton est par ailleurs habillé de mosaïques.
C’est l’œuvre de Jeno Raichl de 1912 à 1913. Il porte le nom d’un procureur général de Szeged.
Jeno Raichl est aussi l’architecte de la Maison Moricz construite entre 1910 et 1912 pour le compte de Joszef Moricz.
Si le bâtiment est superbe avec ses aplats en céramique bleue, il a été restauré en 2007 pour le sauver d’une triste décrépitude.
En se promenant dans Szeged, on aperçoit quantité d’autres bâtiments qui ne sont pas aussi célèbres mais qui constituent une jolie toile de fond à la ville.

Sur la place de la mairie de Szeged, enfilade de façades aux couleurs tendres.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.

Façade à colonnes pour un style Art nouveau se rapprochant de l’Art déco à Szeged.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Les Bains Anna terminés en 1896 par Antal Steinhardt et Adolf Lang dressent leurs coupoles d’inspiration orientaliste.
De l’autre côté de la frontière, la Serbie n’est pas en reste.
Palic, un petit coin de paradis perdu en Serbie
Palic, cité balnéaire qui remonte en 1912 sous sa forme actuelle, attire l’œil de l’automobiliste par sa « porte d’entrée » en bord de route, un ensemble étonnant constitué d’un genre de tour basse ouverte sur les côtés, coiffée d’un toit pointu et se prolongeant par un porche en bois décoré. Celui-ci est flanqué à sa droite d’un château d’eau qui s’étire vers le ciel.
Depuis l’auvent, on distingue, au loin, une nappe d’eau qui scintille sous le soleil. Avec une telle entrée en matière, on n’a qu’une envie s’engager dans la grande allée qui traverse la forêt pour aller voir ce qui se passe, là-bas au fond. Une fois la voiture garée, puisque toute cette zone de Palic est piétonne, on avance déjà loin du bruit de la route, aimanté par cette étendue d’eau que l’on aperçoit de façon de plus en plus précise.

Grande allée qui va de l’entrée au bord du lac de Palic, en passant sous le bâtiment principal.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
C’est ainsi qu’on arrive à la « Grande Terrasse », un vaste bâtiment pourvue de deux ailes et dont la partie centrale est construite sous forme d’arche qui laisse la perspective ouverte vers le lac.

Bâtiment central de Palic. En haut vu depuis l’entrée, en bas vu depuis le lac.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Cette construction qui doit sans doute son nom à ses deux terrasses, côté lac, abritait au rez-de-chaussée des bazars, un barbier, une pâtisserie, une confiserie, un magasin de jouets. A l’étage, une grande salle était prévue pour les concerts et les bals.

Les terrasses qui font partie intégrante du bâtiment central de Palic.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
A gauche, en continuant vers le lac, se dresse le petit kiosque à musique.
Enfin, au bord du lac, construit sur pilotis au-dessus de l’eau, est implanté le « Lido des femmes » avec sa jetée.

Les bâtiments du Lido des femmes s’ouvrent largement sur le lac de Palic.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le tout en bois rouge sombre et fleurettes bleu pâle renvoie au folklore de Transylvanie retravaillé dans l’esprit Sécession par les architectes de Budapest, Marcell Komor et Dezso Jakab.

La fontaine du mémorial, au bord du lac, à l’aplomb de l’entrée du parc de Palic.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Il règne à Palic une ambiance de calme, hors du temps. L’harmonie entre ces bâtiments et la nature préservée invite à la contemplation.

L’un des deux vases du parc de Palic, cadeau de la fabrique de Zsolnay. Il est décoré du dieu de l’eau.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
C’est un lieu tout à fait à part où j’aurais aimé rester, au moins une journée, pour profiter de ce cadre et de cette atmosphère uniques.
Subotica, un peu de Méditerranée en Europe centrale
Moins de dix kilomètres plus loin, on arrive à Subotica. Cette ville appelée aussi Zabadka a connu une embellie économique à la fin du XIX ème siècle qui s’est traduite par une éclosion de bâtiments Art nouveau.

La monumentale mairie de Subotica constitue avec sa tour, le point de repère majeur de la ville.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Et la mairie est une démonstration éclatante de la vitalité de Subotica à cette époque. Impossible de l’ignorer tant par son emplacement très central évidemment que par sa taille qui lui permet encore à l’heure actuelle d’abriter la plupart des services municipaux sur 16.000 m² ou que par sa flèche de 76 mètres de haut.
Ses architectes, Marcell Komor et Dezso Jaka, ont enrichi ce bâtiment de multiples éléments décoratifs du plus bel effet. Fers forgés et céramiques à profusion s’inspirent du folklore hongrois.
Le bâtiment a été construit entre 1908 et 1910 mais l’intérieur a été achevé en 1912.
Les mêmes architectes ont aussi bâti en 1902 la Synagogue de Subotica qui pouvait accueillir 1600 personnes.
C’est dire l’importance qu’avait la communauté juive à Subotica à cette époque.
Malheureusement, après la Deuxième Guerre mondiale, la population juive ayant été exterminée, cette Synagogue n’a pu plus être entretenue.
La ville l’a rachetée en 1976. Après avoir été affectée à diverses activités, elle est en cours de rénovation.
Cette Synagogue est la seule à posséder des décors Art nouveau faisant référence au folklore hongrois.
On doit encore à Marcell Komor et Dezso Jakab, en 1907, le Palais de la Caisse d’épargne.
C’était alors la seule banque de la rue principale de Subotica. On voit sur l’un de ses frontons, une ruche en céramique, prise comme le symbole du travail et de l’économie.
On trouvait aussi un restaurant au rez-de-chaussée, derrière les façades vitrées, tandis que des appartements avaient été aménagés dans les étages.
On retrouve aussi à Subotica deux architectes que j’apprécie tout particulièrement, les frères Vago qui ont travaillé à Budapest et à Oradea.

Le Palais Miksa Domotor, un bâtiment Art nouveau de Subotica aux couleurs tranchées.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
A Subotica, ils ont bâti en 1906 le Palais Miksa Domotor et y ont introduit les motifs géométriques de l’Art nouveau proche de la Sécession viennoise.

Ferronnerie, mouvements des façades, reliefs, tout a été pensé pour faire de cet immeuble de Subotica, une réalisation de très grande qualité.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
En 2008, la municipalité de Subotica a racheté ce palais pour en faire le Musée de la ville.
Le Palais Ferenc Raichle est d’une exubérance totale.
C’est un condensé d’Art nouveau puisant dans le répertoire décoratif du folklore transylvanien. Le bâtiment est d’une telle richesse que j’ai été frustrée de ne pas pouvoir répertorier toutes ses particularités.
Cette profusion s’explique du fait qu’il a été construit en 1904 par Ferenc Raichle (1869-1960), lui-même architecte, pour abriter son logement et son cabinet. Ayant décroché son diplôme d’architecte à Budapest, il arriva à Subotica en 1896. Cet homme présenté comme un bon vivant, amateurs de voyages et appréciant le luxe, considérait que rien n’était trop beau pour son palais. Malheureusement sa prodigalité l’entraîna vers la faillite et il ne put en profiter que jusqu’en 1908. Le palais tout meublé fut vendu aux enchères. Il partit pour Szeged où il resta quatre ans avant de s’établir à Budapest où il continua à travailler. C’est une galerie d’art moderne Art Encounters qui occupe maintenant le Palais Ferenc Raichle.
J’ai vu aussi d’autres belles bâtisses à Subotica de périodes et de styles différents.

Guirlandes de fleurs et rose tendre, une combinaison Art nouveau à Subotica.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.

Bel ordonnancement de la façade de cet immeuble sur la grande rue piétonne de Subotica.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.

Alternance de piliers en béton et en céramique forment une composition rigoureuse mais non dépourvue d’inventivité, à Subotica.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Que ce soit la place de la mairie, la rue principale devenue piétonne ou les rues bordées d’arbres, tout incite à la promenade à Subotica.
Mais j’ai été cruellement déçue. Le Bar Papillon que je me faisais une joie de découvrir a été transformée en une lugubre petite boîte de nuit qui semble aussi faire office de salle de jeux et dont les portes vitrées sont couvertes d’affichettes criardes qui empêchent de voir l’intérieur. Pourvu qu’il n’ait pas été saccagé ! Subotica m’a comblée avec son Art nouveau très démonstratif mais j’ai aussi aimé cette ville serbe pour son atmosphère, son élégance et une pointe d’accent méditerranéen sous le soleil qui nous a accueillis.

De Szeged à Subotica, portes et détails d’architecture. Les trois portes de la rangée du bas ont été photographiées à Szeged.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Mon restaurant à Szeged
Malgré notre programme très dense, nous nous sommes arrêtés pour déjeuner au Szeged Etterem, sur la place de la mairie. Si le personnel était loin d’être accueillant, nous avons apprécié la salade qu’on nous a servie dans sa coque en biscuit au fromage à grignoter lorsqu’elle est vide. L’intérieur est charmant avec ses voûtes mais nous avons préféré profiter du beau temps et de la vue, sur la terrasse, à l’ombre de vastes parasols.
Szeged Etterem, 9 place Szechnyi, Szeged
A savoir
Que ce soit à Szeged ou à Subotica, quand on se gare, il faut aller chercher un ticket de stationnement. En général on en trouve dans les kiosques à journaux. Vous rencontrerez toujours quelqu’un qui vous renseignera. Le problème n’est pas là. Une fois que vous avez acheté ce ticket, ne vous contactez pas de le poser de façon à ce qu’il soit visible. Il faut cocher la date et l’heure. Sinon, vous aurez une contravention. Une petite surprise qui ne nous a pas vraiment fait plaisir.
J’ai été étonnée par ce que j’ai pu constater du coût de la vie en Serbie. J’ai changé 5 euros en dinars serbes pour pouvoir acheter mon ticket de stationnement. Avec cette somme, j’ai pu en plus payer les boissons non alcoolisées pour quatre personnes, laisser un pourboire mirifique et revenir avec un paquet de billets.
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Beau et exhaustif !
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