Les architectes catalans qui ont donné ses lettres de noblesse au Modernisme à Barcelone n’ont pas cantonné leur travail dans leur région. Mais Comillas, en Cantabrie, est un cas de figure assez exceptionnel. Cette ville apparaît comme une enclave du Modernisme catalan là où on ne l’attendrait pas. Et les réalisations modernistes y sont particulièrement réussies. Cette curiosité s’explique par un concours de circonstances.

El Capricho de Gaudi à Comillas avec son mirador au-dessus de la porte d’entrée.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Comillas pourrait n’être qu’une charmante station balnéaire de Cantabrie. Ce ne serait déjà pas mal mais ce n’est pas ce qui aurait pu m’attirer. Quand j’ai appris que Gaudi y avait construit un bâtiment bien nommé « El Capricho », j’ai eu très envie de m’y rendre. En préparant mon périple, j’ai appris qu’El Capricho n’était pas un cas isolé à Comillas et qu’il y avait d’autres splendeurs modernistes qui m’attendaient. Très occupée par mon programme moderniste, je n’ai pas eu le temps d’arpenter les rues de Comillas ni d’aller faire un tour sur ses plages. Une lacune que je dois absolument combler d’autant plus que je n’ai vu que les principaux bâtiments Art nouveau de Comillas.
Antonio Lopez y Lopez, l’homme providentiel
Comment serait Comillas sans Antonio Lopez y Lopez ? La ville n’aurait sûrement pas cette physionomie. Jusqu’au XIX ème siècle, Comillas était un petit village de pêcheurs. La découverte du zinc dans ses environs est sans doute à l’origine de son développement économique mais c’est à Antonio Lopez y Lopez (1817-1883) que la ville doit son originalité architecturale.

Monument au marquis de Comillas par Luis Domenec i Montaner.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Originaire de Comillas, Antonio Lopez y Lopez poussé par la pauvreté partit à Cuba à l’âge de 14 ans. Lorsqu’il revient fortune faite et après avoir épousé une jeune femme d’origine catalane, il s’installe à Barcelone en 1853. Antonio est devenu un notable à la tête de plusieurs entreprises et fait partie des grandes fortunes d’Espagne. En 1878, le roi Alfonse XII lui octroie le titre de marquis de Comillas et, en 1881, de Grand d’Espagne. Entre-temps, il a fait l’acquisition en 1865 d’une maison pour sa mère à Comillas et achète en 1880 des terrains pour y construire son palais. Sur l’invitation du marquis de Comillas, le roi vint passer ses vacances à Comillas en 1881 et 1882. La station balnéaire était lancée.
En tant que nouveau riche et mécène, Antonio n’a pas lésiné sur la qualité des personnes qu’il a fait travailler ni sur l’ampleur des bâtiments qu’il a financés. Et son fils, Claudio Lopez y Bru (1853-1925) a continué l’œuvre de son père, après le décès de ce dernier, en respectant les engagements qu’il avait pris.
Le Modernisme dans tous ses états à Comillas
Commençons par le début de cette sympathique invasion de Catalans en Cantabrie. Car il ne faudrait pas réduire au seul Gaudi le Modernisme à Comillas. Le premier bâtiment à être terminé est la chapelle panthéon des marquis de Comillas achevée en 1881 sur le terrain du Palais de Sobrellano.
Cette chapelle à l’allure gothique avec sa flèche élancée est l’œuvre de Joan Martorell (1833-1906). Le confessionnal et les sièges ont été créés par Gaudi. Les sièges ont été dessinés de façon à ce qu’ils épousent le corps pour être plus confortables.
Des dragons, motifs chers à Gaudi, se détachent sur le côté des accoudoirs. A côté, dans le parc, le palais est une création de Joan Martorell qui a opté pour un style mêlant joliment le Néogothique et le Modernisme.
La façade en pierre d’un étonnant brun rosé est très finement travaillé avec des groupes de colonnes aériennes.
Le hall d’entrée est éblouissant avec son lustre et son double escalier en albâtre.

Vitraux au-dessus de la cage d’escalier du Palais de Sobrellano à Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
On circule à travers différentes pièces du rez-de-chaussée dont la salle de billard.
La salle à manger a de belles proportions.
Mais le salon central est époustouflant par sa hauteur de plafond à caissons, ses boiseries, les motifs de feuille sur fond or qui habillent les murs. En partie haute, les peintures murales de Eduard Llorens Masdeu retracent la vie du marquis de Comillas.

Les marquis de Comillas peints en partie du grand salon par Llorens Masdeu.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Ses vitraux très colorés exécutés par Eudall Ramon Amigo.

Grand vitrail coloré sur l’un des côtés du grand salon du Palais de Sobrellano.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Bien qu’il ait eu le vocation de résidence d’été, le palais est pourvu de cheminée car il est exposé au nord. Antonio Lopez en avait décidé ainsi parce qu’il souhaitait pouvoir voir depuis sa maison l’université dont il avait programmé les travaux.

Cheminée d’une petite pièce du Palais de Sobrellano à Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Malheureusement, il ne vit jamais son palais terminé puisque celui-cela sera achevé en 1888, cinq ans après sa mort.
El Capricho de Gaudi
Le Capricho de Gaudi éblouissant, évidemment.
Son autre nom, moins connu, est villa Quijano (1883-1885) puisqu’elle a été construite pour Maximo Dias de Quijano, avocat amateur de musique et de botanique, le beau-frère du marquis de Comillas.
Gaudi (1852-1926) crée ce bâtiment alors qu’il n’est encore qu’un jeune architecte avec une expérience réduite. Introduit auprès de la famille par Joan Martorell, il avait conçu un kiosque à Comillas en 1881 à l’occasion de la venue du roi. Quand on voit El Capricho, on comprend tout de suite le succès qu’il rencontre auprès des touristes qui viennent à Comillas.

Détails des céramiques et des ferronneries sur le bâtiment d’El capricho.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Tout est étonnant et exubérant. Ses formes sont très travaillées en arrondis, que ce soit le portail d’entrée, la tour mirador, les cheminées qui hérissent le toit, ou les murs des façades qui évitent tout angle aigu.
La toiture qui intègre quantité de lucarnes est aussi savamment composée pour éviter toute uniformité. La façade privée du Capricho est organisée autour d’un vaste jardin d’hiver qui vient s’insérer dans le bâtiment en forme de U à l’arrière.

Bancs construits dans le mur du jardin d’El Capricho à Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Les matériaux choisis par Gaudi renforcent l’originalité du bâtiment des briques et des carrés en céramique représentant des tournesols. Plus on s’élève, plus ces tournesols deviennent denses jusqu’à habiller l’intégralité de la tour mirador.
Gaudi a aussi joué sur les ferronneries aériennes en forme de feuilles et de clés de sol pour rappeler les passions du propriétaire de la villa Quijano

Vitraux de la salle de bains du Capricho évoquant les passions du propriétaire, la nature et la musique.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
. A l’intérieur serait presque sage à côté de cette profusion.

Cheminée habillée de céramiques à l’intérieur du Capricho de Gaudi à Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
A noter les plafonds à caissons, les céramiques des cheminées, les boiseries ou les vitraux.
L’Université pontificale
Alors que les touristes viennent en rangs serrés visiter El Capricho de Gaudi, ils semblent totalement ignorer un ensemble étonnant, d’une richesse architecturale exceptionnelle, l’Universidad Pontificia ou Université Pontificale.
Cette université est toujours en fonctionnement. Lorsque nous l’avons visitée en plein mois d’août, il y avait juste un autre couple.

Partie haute du parc de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Bien sûr, l’université installée en haut d’un vaste parc qu’elle surplombe, sur la colline de La Cardosa, n’est pas à proximité immédiate du centre comme El Capricho, le Palais de Sobrellano ou la plage.

En longeant la façade de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Mais la ville n’est pas si grande que cela et son son bâtiment est visible de toutes parts et quand on passe sur la route, entre la plage et le centre, on ne peut qu’être frappé par son portail tout au bord de la chaussée : une structure monumentale et aérienne à la fois en briques rouges et céramiques bleues, blanches et or sur lesquelles se détache un écusson comportant différents éléments symbolique : la tiare papale aux trois couronnes, les clés du Saint-Siège, l’emblème de la Compagnie de Jésus, 1892, la date de l’inauguration, et les deux démons sur lesquels sont posés les personnages évoquant la domination du péché.
Comment ne pas avoir envie de savoir ce qu’il y a derrière ? On doit cette création à un architecte catalan que j’apprécie particulièrement Luis Domenech i Montaner (1850-1923). A l’origine de cette université, on retrouve bien évidemment Antonio Lopez y Lopez qui souhaitait construire un établissement pour rendre l’instruction accessible à un plus grand nombre d’enfants.

La porte des vertus de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Les jésuites auxquels il s’adresse réoriente le projet vers l’implantation d’un séminaire. C’est son fils Claudio qui prend la relève après son décès.

La porte des vertus de l’Université Pontificale de Comillas, côté intérieur.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le séminaire en briques rouges est dessiné par Joan Martorell dans un style néo-gothique et les travaux lancés en 1883 suivis par Cristobal Cascante y Colom (1851-1889). Mais c’est Domenech i Montaner qui est chargé en 1889 de rattraper le retard des travaux et qui durant quatre ans va achever le chantier tout en lui apportant sa touche personnelle en jouant sur des décors raffinés et chargés de symboles et en l’inscrivant définitivement dans le courant moderniste.

Boiseries, sgraffites sur les murs et arcs d’inspiration gothique au rez-de-chaussée de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Ses interventions son multiples. Parmi les plus marquantes, la porte des vertus du séminaire : chaque personnage féminin représentant une vertu marchant sur un péché. Les murs du hall d’entrée sont recouverts de sgraffites clairs.

Enfilade de colonnes et d’arcs du hall d’entrée de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Les chapiteaux des colonnes derrière lesquelles s’élèvent les escaliers sont recouverts de motifs végétaux.

Faune et flore très présentes à l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Les rampes en pierre sont sculptées avec brio. Mais l’élément le plus spectaculaire est la cage d’escalier dont le plafond, une nef renversée habitée par quarante animaux représentant l’arche de Noé.

L’arche de Noé renversée de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Quarante faisant référence au nombre de jours durant lesquels, les animaux sont restés enfermés dans l’arche de Noé.

Motifs de chardons sur ces vitraux de la cage d’escalier de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Des vitraux ont été installés de part et d’autre et au cœur de cet extraordinaire bestiaire.

Vitrail réalisé par Enrique i Vidal des ateliers Amigo à Barcelone et représentant les armoiries du pape Léon XIII.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le plafond de la galerie qui amène au grand hall est fait de bois polychromes aux motifs végétaux dorés dans un esprit mauresque.

Plafond à caissons dans le hall du premier étage de l’Université Pontificale de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le grand hall au parquet marqueté est ceint d’une galerie en partie haute et les murs sont recouverts de feuilles de chêne, d’acanthe et de géranium dorés.
L’église recouverte d’azulejos étant en travaux, je n’ai pu la voir.

Les anges musiciens créés par Eusebi Arnau au-dessus la porte menant à la chapelle San Antonio.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Domenech i Montaner a aussi réhabilité le cimetière de Comillas en 1893 en redessinant son portail et en y installant un grand ange blanc.

L’ange du cimetière de Comillas par Luis Domenech i Montaner.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Il y a en outre réalisé le panthéon de la famille Pielago, un proche du marquis de Comillas, sans doute à la demande de ce dernier.

Au fond, le panthéon de la famille Pielago au cimetière de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.

Construit sur les décombres d’une ancienne église, le cimetière de Comillas.
Photo City Breaks AAA+, Claude Mandraut.
Le talentueux Luis Domenech i Montaner a aussi créé d’autres monuments à Comillas que je verrai lors de mon prochain passage et aussi été mis à contribution pour le Palais de Sobrellano et la chapelle panthéon des marquis de Comillas. Non loin de là, à Santander, Luis Domenech i Montaner a réalisé la Caisse d’Epargne et le Mont de Piété inaugurée en 1907.
Le bâtiment ne reflète pas complètement le style très luxuriant de l’architecte car le commanditaire lui avait imposé d’interpréter le style « montanes ». Il est désormais occupé par la Fundacion bancaria Caja Cantabria.
Cela fait un petit moment que je souhaite faire un petit tour à Comillas. On me l’avait chaudement recommandé, et on m’avait également évoquer le passage de Gaudi dans cette ville mais je ne pensais que le catalan y était si ancré.
Cet article plus que complet n’a fait que renverser ma curiosité et mon envie d’y aller en tout cas !
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Comillas mérite plus qu’un détour. C’est une ville étonnante pour les amateurs de Modernisme. Mais, si l’oeuvre de Gaudi marque le paysage de la ville, il n’y est en fait jamais venu, si j’ai bien compris. Il a délégué le suivi des travaux. Et surtout n’oubliez pas le travail de Domenech i Montaner à Comillas qui est vraiment époustouflant. Il a fait de l’Université Pontificale un bâtiment extraordinaire. Avec lui, on n’est jamais déçu. Il joue sur la profusion et la richesse des détails. Je garde un souvenir ébloui de l’ancien hôpital San Pau, du Palais de la musique catalane ou de la maison Lleo i Morera pour ne parler que de ces quelques réalisations de Domenech i Montaner que j’ai visitées à Barcelone.
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