Rares sont les personnes qui connaissent l’ancienne usine Oustau en dehors des habitants des Hautes-Pyrénées, et encore… Pourtant, il s’agit d’un fleuron du patrimoine industriel, mais dans un état pitoyable. Qui le sauvera ?
Lors d’un séjour à Tarbes, j’ai été éblouie par les bâtiments de l’ancienne usine Oustau que j’ai découverts par hasard. J’ai aussi été horrifiée par leur état de grand abandon qui préfigure leur disparition. Il est urgent de trouver une solution pour les pérenniser car ils sont à merci d’une tempête ou même d’un coup de vent, sans parler des risques d’incendie. Pourtant leur histoire est connue localement et a fait l’objet d’une publication*. Située à Aureilhan, petite commune jouxtant Tarbes, cette usine a été fondée sur 2 hectares, en 1873 par Laurence Oustau, qui se destinait à l’administration des Ponts-et-Chaussées, avec Messieurs Danos et Latapie. Laurence Oustau la dirigera jusqu’à sa mort en 1929. Elle employait 200 ouvriers. La Seconde Guerre mondiale lui porte un coup fatal, elle est ensuite mise en gestion et finit par péricliter. Elle fermera en 1970. Dès 1881, la façade de « l’usine rouge » se présente avec les décors que l’on peut encore voir aujourd’hui, décors qui ressortent sans doute mieux par beau temps mais la météo n’était pas favorable.
En 1887, « l’usine blanche » est construite à côté.
Les deux usines ont des fabrications différentes et Laurence Oustau dispose d’autres ateliers à Tarbes. Sans entrer dans le détail entre les différents sites, on peut dire que sortent des usines Oustau des briques, des tuiles, des pavés, des tomettes, des tuyaux en terre cuite, des tuyaux en grès cérame, des carreaux en ciment, des éléments en pierre artificielle, des mosaïques en marbre des Pyrénées. Elles produisent aussi des bordures de jardin en grès, des pots à graisse et à confiture, des éléments adaptés à la construction décorative – épis de faîtage, rosaces, panneaux de cheminée, frises en émaux cloisonnés- tables, vases mais aussi panneaux décoratifs et sculptures. Les éléments d’architecture ont été utilisés avec bonheur par les architectes fervents adeptes de l’Art nouveau.
Oustau a ainsi fourni des tuyaux en grès pour le pipe-line de Bakou, avait des marchés dans toute l’Europe et en Afrique du Nord. L’entreprise a eu aussi pour clients l’Arsenal de Tarbes et la Compagnie des chemins de fer du Midi. Elle a décroché une médaille d’argent pour sa « poterie de bâtiment et de ménage » à l’Exposition universelle de Paris de 1878. On évoque aussi une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889 (source base Mérimée). Une histoire et des bâtiments emblématique. Pourtant, « l’usine rouge » est dans un état pitoyable.
Les éléments de structure en bois sont en perdition.
Les deux cheminées s’inclinent dangereusement et risquent d’écraser les bâtiments.
La petite guérite à l’entrée de « l’usine rouge », conciergerie ou pavillon de pointage, qui était si coquette avec son toit pentu et décoré, bordé par une frise en terre cuite, est en pleine déliquescence.

Les détails décoratifs des bâtiments avaient été soignés. Ici, il s’agit d’un motif en terre cuite qui souligne le bord de la toiture de la conciergerie.
La façade arrière n’est pas en meilleur état avec ses sous-bassement en terre cuite rongée et ses fenêtres aux carreaux cassés.

La façade arrière de « l’usine rouge » mélange motifs en briques vernissées et panneaux en briques nid d’abeille.
Les fours à l’abandon complètent ce tableau de désolation.
Peut-on imaginer que cet ensemble remarquable est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1994 ? Certes, il s’agit d’une propriété privée mais comment peut-on laisser un tel patrimoine se dégrader à ce point sans que rien ne soit fait pendant vingt ans ? Quand les cheminées se seront écroulées, ce qui ne saurait tarder, il ne restera plus qu’à raser le site. Comble de l’ironie, l’intérêt de l’usine semble pourtant incontestable quand on lit le texte de la base Mérimée qui s’y rapporte : « Cet ensemble industriel exceptionnel, abondamment décoré, conserve un patrimoine technique remarquable de huit fours de cuisson ». Sur cette fiche qui n’a sans doute pas été actualisée depuis 1994, on lit aussi que le site est « en voie de reconversion ». Le doute est permis, quand on constate le désastre vingt ans plus tard. D’un autre côté, « l’usine blanche », elle aussi, inscrite ne souffre pas des mêmes maux. Ses façades et ses toitures ont été restaurées mais, vendue à un garage automobile, elle a été dépouillée de ses équipements industriels.
La villa Oustau, beau manifeste de la production de l’usine
La villa Oustau construite par l’architecte Paul Louis Gély à la demande de Laurence Oustau sur un terrain acheté en 1910, non loin de l’usine, a eu plus de chance. Inscrite, elle aussi, en 1994 à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, elle a été rachetée par la Ville d’Aureilhan et transformée en centre culturel.
Elle cultive un style Art nouveau discret avec les décrochements de sa toiture et les éléments décoratifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Briques vernissées et céramiques sortent de l’usine du propriétaire.
Même les cheminées sont traitées avec une grande attention.
Cet élément se retrouve à différents endroits des façades de la villa. En outre, des frises en céramique à décor de feuilles de châtaignier, d’iris ou de chardons surmontent ou soulignent certaines fenêtres.
Le mouvement des grilles avec leurs boucles s’inscrit très nettement dans le courant Art nouveau, tout comme l’iris en partie haute.

L’un des quatre tableaux en céramique de Lucien Jules Gros, dans l’entrée, représentant un site des Pyrénées.
Dans le grand hall d’entrée, quatre tableaux en céramique, signés par Lucien Jules Gros et datés de 1913 mettent à l’honneur le Cirque de Gavarnie, le Lac de Gaube, le Pic du Midi et la Vallée de Lutou. Signés aussi par Gros, de petits tableaux monochromes en céramique bleu clair, très délicatement dessinés sont insérés dans les boiseries qui habillent les murs sur leur partie basse et représentent des scènes de ski, de jeu ou de promenade.
La salle-à-manger est aussi cernée par ce genre de petits tableaux, tandis qu’un grand tableau en céramique surmonte la cheminée. Son cadre en bois est décoré aux quatre angles d’un motif en relief en céramique.

Les murs d’une petite pièce, derrière le hall d’entrée, sont décorées par des panneaux en céramique représentant des cygnes flottant entre nénuphars et roseaux.
Autre exemple du savoir-faire de la maison Oustau, cette scène en céramique qui recouvre en continu les murs de la pièce, en jouant sur différentes positions des cygnes pour éviter les répétitions.
Les émaux de ces motifs floraux cernés et en relief se détachent parfaitement sur le support blanc des carreaux.
Cette villa est un véritable catalogue du savoir-faire de l’usine dans le registre de la décoration. Quand on voit la qualité de ces produits, quand on imagine le poids économique de l’usine, sa capacité à exporter face à la concurrence internationale grâce à sa technicité de ses ateliers et à l’allant de son propriétaire, on ne peut que déplorer son abandon. Qui trouvera le moyen de sauver ces étonnants bâtiments et de faire revivre leur histoire ? Car au-delà du financement de la rénovation, il faut structurer un projet à long terme, permettant à ces bâtiments de générer leur entretien. Et il serait dommage qu’ils deviennent une simple coquille abritant une activité quelconque car cet outil industriel constitue en lui-même un fabuleux conservatoire des techniques de l’époque notamment grâce à ses fours et aux locaux affectés aux différentes étapes de la fabrication.
*L’usine de céramique Oustau à Aureilhan Hautes-Pyrénées, texte Jérôme Bonhôte et Yves Cranga, photos Philippe Poitou, Itinéraires du Patrimoine, Accord Edition, Inventaire Général ADAGP, 2003.
Vous aimerez aussi :
j’ai bien connu quand j’habitais à Tarbes..sur l’autre rive de l’Adour..on l’appelait couramment « la Tuilerie »…
J’aimeJ’aime
Cela fait quelques années que j’ai écrit ce texte et je n’ai eu l’occasion depuis de repasser devant ces magnifiques bâtiments en péril.
J’aimeJ’aime
Il faudrait peut être former une commission avec le but de réaliser un projet qui puisse justifier un financement. Je pense à un centre museistique d’interprétation sur l’industrie. Le site n’est pas loin de ce qui fut jadis l’arsenal de Tarbes. Cependant il faudrait d’abord stimuler l’intérêt des propriétaires, sans leur concours rien n’est possible. S’is ne trouvent pas d’intérêt économique peut être on est voués à être témoins de la perdition du site.
J’aimeJ’aime
Excusez-moi pour cette réponse si tardive. Je ne suis pas revenue sur le site depuis des années et je ne sais donc pas ce qu’il est devenu. Je crains le pire. Je vais essayer de me renseigner. Quel dommage que le patrimoine industriel soit si peu considéré. Pourtant, il représente un pan important de l’histoire et devrait faire l’objet d’une préservation très attentive.
J’aimeJ’aime