La carrière de Robert Lallemant, dont les amateurs connaissent bien les céramiques, fut aussi brillante que courte.
Jacqueline du Pasquier vient d’écrire un livre sur Robert Lallemant qui permet de mieux comprendre l’homme et son œuvre : « Robert Lallemant, céramiste et décorateur d’une génération incertaine« . Etonnant parcours que celui de Robert Lallemant né en 1902, élevé dans un milieu aisé et qui suit les cours de l’école des Beaux-Arts de Dijon avant de faire son apprentissage chez Raoul Lachenal. Très vite, avec le concours financier de son père, il monte un atelier à Paris vers 1924. Ses créations sont caractérisées par des formes aux pans coupés typiques de l’Art déco mais il ne se laisse pas enfermer dans cette seule approche. Robert Lallemant s’inspire aussi de l’univers industriel pour imaginer des pièces avec des parties crantées, des aplats en relief, des genres de pas de vis, le tout parfaitement imbriqué et harmonisé pour constituer des vases élégants et austères. La qualité de son émail dont ses gris mouchetés est aussi caractéristique de son travail, tout comme les décors de certaines pièces : décors stylisés cubisants mais aussi décors figuratifs, très fins et charmants. Ces derniers sont très souvent l’œuvre de l’artiste Michel Bouchaud. On trouve aussi des clins d’œil aux sports très en vogue à l’époque. Et Il y a cette étonnante série de vases inspirée par les poèmes de l’Américain Ben Lucien Burman. Dessins et poèmes s’y mêlent comme dans une bande dessinée qui serait une ode à l’Amérique qui a tant fait rêver Robert Lallemant. Et Jacqueline du Pasquier nous explique aussi comment Robert Lallemant, qui devient membre de l’Union des artistes moderners (UAM) commence à s’éloigner de la céramique pour s’intéresser à la décoration et s’impliquer dans l’entreprise de travaux publics de son beau-père, notamment en travaillant sur le projet immobilier de ce dernier : la Résidence du val d’Esquières dans le Var. Et puis c’est la guerre, l’engagement dans la Marine en 1939 avec, à la clef, de magnifiques photos, un autre talent de Robert Lallemant. A nouveau, il s’engage fin 1944 dans la Flank Force américaine. Entre-temps, entraîné par son beau-frère, Robert Lallemant devient vers la fin 1942 « conseiller artistique au cabinet particulier du maréchal Pétain ». A ce titre, il passe des commandes à la Manufacture nationale Sèvres pour des objets de propagande à la gloire du maréchal, suit l’exécution de services de tables du maréchal. Dans ce livre on peut voir d’étonnant vases de Robert Lallemant aux formes très modernes avec le portrait du maréchal, décorés de la francisque et d’étoiles ou couverts « des principes de la communauté ». Un étrange mélange !
En fait, Robert Lallemant n’aura été un céramiste au talent reconnu que pendant une dizaine d’années, passant ensuite à d’autres occupations avant de succomber à une crise cardiaque en 1954, suite une descente de ski à Davos.
Avec le talent et la sensibilité qu’on lui connaît, Jacqueline du Pasquier a réussi à reconstituer la carrière de Robert Lallemant en lui apportant un éclairage original. Son texte est étayé par de nombreuses photos et illustrations qui permettent de bien appréhender la diversité de l’œuvre de ce dernier. Elle a eu accès à des documents détenus par la famille de Robert Lallemant, ce qui rend cet ouvrage encore plus riche et précieux. Elle a su expliquer le rôle artistique et non politique de Robert Lallemant pendant la guerre. Ces chapitres et celui que, parallèlement, elle consacre aux commandes de l’occupant allemand à la Manufacture nationale de Sèvres sont d’ailleurs particulièrement intéressants à titre historique.
Un livre aussi agréable qu’instructif incontournable pour les amateurs de céramique ou d’Art déco.
Rober Lallemant, céramiste et décorateur d’une génération incertaine, Jacqueline du Pasquier, Somogy, Paris, 2014.